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Le Retour vers la Mer
8 juillet 2011

Bélem, avril 2010 ,une nouvelle aventure : là-haut dans la mâture !

  P1010585                               

6 H 40 , José vient nous tirer de notre sommeil ( de plomb ). Dur, dur, ce matin . Il est très tôt, mais le Commandant a décidé d'appareiller à 8 H 00 et à l'heure précise , le Bélem reprend sa route.

8 H 30 : poste de propreté. A nouveau, astiquage des cuivres . Avec Poussin et Juliette, nous agissons groupés. D'abord nous nous attaquons aux cuivres de l'échelle qui permet d'accéder au spardeck. Puis c'est le tour d'un cabestan situé au pied de la dunette. Ca brille : du bel ouvrage !

Poussin,_le_roi_du_Miror_!

 

                                        Juliette_astique_les_cuivres

Lors de sa conférence, le Commandant nous parle des virements : virements vent devant et virements lof pour lof. Explications, schémas et même une maquette, illustrent les différentes phases . A écouter ainsi, tout parait logique et limpide. Nous saisissons mieux le pourquoi et le comment des multiples manoeuvres qu'on nous demande d'exécuter. Nous voici donc un tout petit peu moins ignorants en matière de marine à voile ...

10 H 45 : Poussin et moi sommes de premier service. C'est reparti : mettre la table, transporter les plats en jouant les équilibristes dans l'échelle qui relie le pont à la batterie, servir, desservir , remonter la vaisselle sale en cuisine, la mettre dans la machine à laver , l'essuyer, la redescendre dans la batterie pour le service suivant.

12 H 00 : nous sommes de quart. Il faut hisser les trois focs sur le gaillard , lover des mètres et des mètres de bouts sur les cabillots. Bon vent, belle mer ! Ou plutôt, très peu de vent et une mer quasiment plate. Et toujours ce grand ciel bleu et cette incroyable douceur pour un mois d'avril au large des côtes d'Angleterre.

                                       Beaupré et_focs

13 H 30 : je ressens une grande fatigue.  Les stagiaires sont suffisamment nombreux sur le pont pour assurer la manoeuvre. Alors je signale à un gabier de service mon "  abandon de poste " et je vais me glisser dans ma bannette pour une heure de repos ( bien méritée... ) .  

Je suis sous la douche quand j'entends Juliette qui m'interpelle : " on va grimper dans la mâture !!! ".  Vite, vite, je ne voudrais manquer cela pour rien au monde. Me voici donc sur le spardesk avec les autres volontaires pour le grand frisson !

Les_choses_sérieuses_commencent_!             C_'est_parti_!            Fini_de_rigoler

J'enfile le harnais ( sécurité oblige ) et commence à grimper les échelons qui mènent à la vergue de grand'voile. Arrivée sous la hune du grand'mât, il faut franchir le vide qui sépare l'échelle de la vergue . Deux petits mètres , ça n'est rien . Et pourtant mes jambes se mettent à flageoler . J'ai la trouille ! Je ne vais pas pouvoir le faire. Je vais renoncer.

Non, si près du but , je ne peux pas abandonner. J'en ai tellement rêvé. J'en ai tellement parlé. De quoi aurais-je l'air ?

Allez , LaCathyVolante, ressaisis-toi, tu en as fait bien d'autres !!! Ca n'est quand même pas ces 11 petits mètres qui te séparent de la Mer qui peuvent te faire peur . Rappelle-toi quand tu te jetais d'un avion à 4000 mètres d'altitude, c'était quand même autre chose !!!

Alors, ça y est : j'y vais . Les deux pieds en équilibre très instable sur le minuscule filin qui court sous la vergue, les deux mains crispées sur la toute petite barre placée au-dessus , centimètre après centimètre, j'avance jusqu'à l'extrémité de la grand'vergue.

                                             Grand_écart entre le mât_et_la_vergue_!

 

                               P1010810                           P1010811

                                        P1010818                  

 

 

Je suis aussitôt rejointe par trois autres stagiaires qui, en évoluant , font bouger le filin sur lequel je repose : horreur ! J'enserre la vergue de toutes mes forces. Grand moment !

Au fil des minutes je retrouve mon calme et commence enfin à savourer l'instant présent . Je suis dans la mâture : sous moi, le pont du Bélem, tout autour, la Mer . Finalement, comme je suis bien, là-haut ...

                                           Tout_au_bout_de_la_vergue_de_Grand_Voile

Mais déjà il faut refaire le chemin inverse. Parcourir à nouveau toute la longueur de la grand'vergue, franchir une deuxième fois le vide, redescendre un par un les échelons, sauter sur le spardeck.

Je pense à ces marins embarqués " pour de vrai " , obligés de grimper dans des mâtures qui dépassaient parfois les 50 mètres de hauteur, dans les pires conditions de froid, de vent et de mer. Quel courage ne leur fallait-il pas ? Est-ce qu'on peut encore parler de courage ? Le mot ne me semble pas à la hauteur de ce qu'ils ont vécu...là-bas au passage du Cap Horn ou parfois tout simplement en sortie de Manche. Je revois cet extraordinaire court-métrage tourné par un journaliste américain présent à bord d'un de ces bâtiments , le Péking ( me semble-t-il ) . Le navire est pris dans un ouragan après le passage du Horn : seules les superstructures émergent , alors que le pont est entièrement sous l'eau . Et durant ce temps, les gabiers sont là-haut dans la mâture où ils se battent contre les éléments pour ferler ce qu'il reste de voilure ...Ce petit film de 20 mns est à voir absolument .

Qui étaient donc ces hommes ? Souvent de simples paysans . Etaient-ils volontaires ? Oui, mais que veut dire être volontaire quand il faut choisir entre crever de faim au coeur de la Bretagne sur un petit lopin de terre qui ne vous appartient pas ou embarquer sur un de ces bâtiments ? Et quelles étaient les conditions pour avoir le droit de risquer ainsi sa vie ? Bien sûr, il n'était pas nécessaire de montrer un beau diplôme d'une quelconque école de la Marine. Non ! Le commandant demandait au " volontaire " de grimper en tête du grand mât : s'il le faisait, il embarquait : s'il ne le faisait pas , il restait à terre. CQFD....

Alors, je ressens simplement un profond respect pour ces hommes. C'est tout.

Etre ici, c'est un tout petit peu faire revivre leur histoire, afin que leur souvenir ne s'efface pas complètement de nos mémoires...

Cet après-midi, il fait particulièrement beau. Je passe un long moment en plein soleil, assise sur le spardeck, à écrire dans mon carnet , doucement bercée par les mouvements du bateau.

Avec mon Tiers, je dîne au premier service de 19 H 00 car nous devons assurer le quart de 20 - 24 .

Ce début de quart est particulièrement calme. Je suis à la veille sur le gaillard avant. Nous filons sud-sud-est. Tout est calme . Même le coucher de soleil est de la fête.

                       P1010856                               P1010860

                                        P1010861

Avec le crépuscule, les premiers bancs de brume apparaissent. Au fil des minutes, ils s'épaississent et très vite, nous nous retrouvons encerclés, noyés au coeur d'un univers cotonneux et oppressant. La visibilité est de plus en plus réduite. Le Bélem se traîne . Moins d'un noeud, sans doute.

Soudain, à peine audible, un bruit sourd et grave. Je regarde mes compagnons de veille. Ils poursuivent leurs conversations comme si de rien était . J'ai dû rêver...

Une à deux minutes s'écoulent . Et à nouveau, cette fois-ci j'en suis sûr, le même bruit. Les autres stagiaires aussi ont entendu quelque chose . Tous les regards se portent sur notre tribord . On ne voit pas à cent mètres tant la brume est épaisse. Les conversations reprennent .

Encore une à deux minutes. Ca recommence. Un tout petit peu plus fort . Nous avons tous compris : c'est la sirène d'un autre bateau qui s'approche de nous. Il n'est évidemment pas visible , avec cette brume à couper au couteau. Je n'aime pas ça du tout...

A période régulière, la sirène retentit , de plus en plus forte, de plus en plus oppressante. Un truc à vous glacer votre sang de moussaillon .

Mais où est-il ce foutu bateau ? Chacun y va de son affirmation ." Il est droit sur notre travers tribord. ". " Mais non ! Il vient face à nous ! " ."  Pas du tout, il nous rattrape !!! ". Personne n'ose affirmer qu'il va jaillir du fond de la Mer, mais il s'en faut de peu...

Le Bélem étant équipé des instruments électroniques de navigation les plus modernes , il suffit tout simplement d'aller dans la timonerie pour vérifier tout cela . Je m'y rends donc et j'interroge l'officier de quart. Il me confirme que nous allons croiser un cargo qui arrive sur notre tribord . Tout est normal puisque nous sommes en train de couper le rail ascendant  . Je distingue parfaitement son écho sur le radar . Il est tout près. Juste sur notre route. Un monstre qui fonce vers nous à plus de 20 noeuds . " Il est gros ? ". " Oui, très gros ". " Mais gros comment ? ". " Plus de 200 mètres de longueur ". " Mais , ça va passer ? ". " Oui, pas de problème ". " Mais, vous en êtes sûr ? ". " Oui ".

J'ai la gorge sêche . La sérennité qui se dégage de l'officier de quart est pourtant rassurante . Je me répète qu'il connait son métier et que je peux lui faire confiance . Et d'ailleurs, quoi faire d'autre ???

Je ressorts de la timonerie et rejoints le gaillard d'avant . Je scrute le mur fantomatique qui s'élève face à nous. Rien, on ne voit absolument rien ! Un nouveau coup de sirène, puissant , si proche !" Mais il est où , ce P.......de B....... de M...... de bateau ??? ".

Là, ça y est . On distingue quelque chose . Il est là ! Non . il n'y a plus rien... Mais si ! Cette forme sombre qu'on devine , c'est lui. Tellement long, qu'avec la brume nous n'arrivons pas encore à le voir dans son entier .  

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Il glisse dans le crépuscule. Il va passer sur notre arrière. Sans problème...et si près pourtant.

                                          Le Vaisseau Fantôme

 

C'est un énorme porte-conteneurs, chargé jusqu'à la gueule. Un de ces cargos géants du transport maritime actuel. Armé par le japonais NYK Line, la Nippon Yusen Kaisha Line .

Nous avons à peine le temps de l'identifier que déjà il s'éloigne et s'efface , englouti par la brume.

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Le quart se poursuit sans autre " incident ". Peu avant minuit , la relève se présente. Il est l'heure de regagner nos bannettes. J'ai du mal à trouver le sommeil. La rencontre avec le porte- conteneurs m'a quelque peu perturbée. Pas sympathique du tout de croiser un tel bâtiment . C'est que le gaillard pourrait si facilement nous envoyer par le fond !!! Pauvres âmes , livrées à notre destin... Terriens  ou marins, je me répète que, quoi que nous fassions, nous ne changerons rien à ce qui est écrit. Alors , autant accepter notre condition de mortels.

Et le dicton, affiché ce jour par le Commandant , me semble particulièrement approprié :

" Capitaine aveugle, pilote sans yeux.

Dans la brume, à la grâce de Dieu ! " .......

                                              

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  • Les vicissitudes de la vie me conduisent à tourner la page que je pensais si solide et à retourner vers celle qui fut si longtemps ma complice : la Mer. Toutes voiles dehors ! Je vous invite tout simplement à découvrir et à partager ma route.
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