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Le Retour vers la Mer
16 juillet 2010

Bélem, avril 2010 , une nouvelle aventure : cap sur les Scilly

Le_grand_phare

6 H 30 : juste le temps de prendre une douche avant le petit-déjeuner . Ce repas est d'ailleurs le seul pris en commun , celui où se retrouvent tous les stagiaires , quel que soit le tiers auxquel ils appartiennent. C'est donc le moment d'échanger avec ceux que nous cotoyons moins souvent.

Le proverbe marin du jour, affiché par le Commandant , me semble plein de sagesse : " En mer, crains le pire, espère le meilleur et contente toi de ce qui vient ". Se contenter de ce qui vient : oui, mais en mer seulement ...

En attendant d'atteindre la sagesse sur mer, comme sur terre ( ! ) , c'est l'astiquage des cuivres qui nous attend . Et ça, c'est du sérieux ! Nous sommes là pour que le Bélem continue à naviguer et non pas pour nous livrer à une quelconque introspection. Comme dit une des stagiaires : " Ici, je suis en jachère intellectuelle ... ". Expression délicieuse que j'ai décidé de faire mienne, tout le temps de notre navigation. 

Alors le bosco distribue à chacun une bouteille de miror ( Le produit miracle ) et deux chiffons : l'un pour répandre le produit, l'autre pour frotter et lustrer. Des cuivres, il y en a partout sur ce navire ! Je m'attaque aux rambardes de l'échelle babord qui permet d'accéder à la dunette . Et il y a du coeur à l'ouvrage , croyez-moi . Ce qui n'empêche pas les conversations avec les copains du Tiers. Et j'en profite pour faire mieux connaissance avec Juliette et Poussin , avec qui je vais partager tant de beaux moments. 

    Asticage_des_cuivres

                    Juliette            Michel_et_sa_bouteille_de_miror

Le temps est couvert . Nous lézardons : 1,5 noeuds . La quasi-pétole ...

Nous faisons cap au Nord Ouest en direction des Iles Scilly . C'est donc une traversée de la Manche dans sa plus grande largeur que nous offre le Commandant. Belle aubaine. Si je viens sur ce bateau , c'est avant tout pour être en mer et la mer, il n'y a que ça autour de nous.

Après l'astiquage des cuivres, nous nous réunissons dans le grand roof pour écouter la conférence du Commandant, consacrée aujourd'hui à l'histoire du Bélem .J'apprécie beaucoup ces moments là, riches, vivants. Alors je me replonge dans l'histoire quasi-miraculeuse de ce fabuleux bateau.

Au XIX° siècle, la France commet deux erreurs , fatales à son commerce maritime . Alors que depuis 1840, l'Angleterre s'est lancée à fond dans la construction des navires en acier, la France elle, continue à construire des bateaux en bois. Or, la construction en acier permet de bâtir des unités avec un plus grand volume en cale et surtout beaucoup plus longs. En parallèle, au nom de la liberté du commerce, la France lève la Loi du Pavillon. Résultat : tous les bateaux étrangers viennent charger en France qui voit alors son propre frêt s'écrouler. Il faut attendre 1882 pour que l'Etat vote une première Loi de Prime , qui prévoit l'octroi de primes à la construction navale en acier . Peu incitatrice , cette disposition produira peu d'effet. Ca n'est qu'en 1893, avec la deuxième Loi de Prime , plus intéressante, que les armateurs français se lancent enfin dans la construction de bâtiments en acier. Entre 1893 et 1902, la France construit plus de 200 grands navires en acier. C'est l'époque de la construction du Bélem.

Le Bélem est construit grâce à la rencontre de trois personnages . Tout d'abord , un armateur Nantais, Fernand CROUAN,  dit " L'Antillais " , descendant d'une famille d'Irlandais immigrés en France . Ensuite , le célèbre chocolatier Henri MENIER . Ce dernier a besoin de navires pour importer des fêves de cacao du Brésil, depuis le comptoir de Bélem , dans la province du Para.  Il en passe donc commande à son ami Fernand CROUAN. Enfin, Adolphe DUBIGEON, directeur du chantier naval Nantais, fondé par ses ancêtres au début du XIX ° siècle . Le bateau est commandé en décembre 1895. Il sera lancé seulement six mois plus tard, le 10 juin 1896. Le 31 juillet , le Bélem quitte Saint Nazaire et fait route vers Montevideo, la capitale de l'Uruguay.

  Fernand_CROUAN  Henri_MENIER  Maurice_et_Ren__DUBIGEON_sur_la_dunette_du_B_lem

Le Bélem fera 33 campagnes vers l'Amérique du Sud et les Antilles . Lors d'un voyage " type ", il embarque au départ de Nantes, des produits manufacturés : chaudières, rails de chemin de fer, machines à coudre qu'il livre en Argentine, ou en Uruguay. Là , il prend à son bord des mules ou des moutons qu'il transporte jusqu'à Bélem. Il charge alors ses cales avec des fêves de cacao. Il remonte ensuite vers les Antilles où il complète son chargement avec du sucre.  Puis c'est le retour vers Nantes .

Des fortunes de mer, le Bélem en a connues plus d'une ! J'ai déjà évoqué l'épisode de l'explosion de la Montagne Pelée à la Martinique , dans mon article du 1er janvier 2010 " Le Bélem : la traversée " . 

Mais le navire a surmonté bien d'autres épreuves et a échappé à bien d'autres périls .

Dès sa première campagne en 1896, lors de son escale au Brésil, un incendie important se déclare dans les soutes . L'équipage réussit à l'éteindre mais le bâtiment est très endommagé et toutes les mules embarquées à Montevideo périssent. Avant de pouvoir appareiller pour les Antilles, de nombreuses réparations seront nécessaires.

En 1898 , deuxième fortune de mer . Au mouillage dans l'estuaire de Saint Nazaire , Le Bélem attend des vents favorables pour entamer une nouvelle traversée . Il est alors abordé par un vapeur anglais , le Mersario , qui lui provoque d'importantes avaries. Le bateau est réparé dans les chantiers de Penhoët et peut repartir .

En 1923, Fantôme II, ( qui est le nouveau nom du Bélem , rebaptisé par Ernest Guiness , son propriétaire irlandais ), doit aller caréner à Yokohama au Japon. Mais il est retardé et n'atteind pas Yokohama le jour prévu . Nous sommes le 1er septembre et la ville est ravagée par un tremblement de terre de très forte amplitude qui coûte la vie à 140 000 personnes. Le tsunami qui s'en suit anéanti tout sur son passage et notamment le dock où devait se situer le bâtiment.

En 1925, lors d'un voyage au Spitzberg , Fantôme II affronte une terrible tempête avec 66 noeuds de vent bien établi . Sous l'influence du vent , le navire se couche et atteind 47 ° de gîte , ce qui est bien au-delà de sa gîte maximale théorique ! Mais Fantôme II se redresse et poursuit sa longue route...

Aujourd'hui, notre Tiers doit assurer les quarts des 8 H - 12 H   et 18 H - 20 H, deux quarts de jour, particulièrement tranquilles . Je ne suis pas non plus de service lors des repas . Journée de croisière !

La clochette du bord retentit : il est midi, l'heure d'aller reconstituer les forces autour de la table dans la batterie . Crevettes, volaille en sauce, pâtes, plateau de fromages, tarte au citron. Après tout ça, j'ai envie de rejoindre ma banette pour une petite sieste digestive ! Non, ça serait vraiment dommage d'être ici et de ne pas profiter de chaque instant , yeux grand ouverts. Alors vite, je grimpe sur le pont .

Le ciel s'est entièrement dégagé et il n'y a pratiquement plus de vent.

Nous allons donc avoir droit au " zodiak-photos-tours ". Pour cela, il faut pratiquer une descente quelque peu acrobatique par l'échelle du pilote , suivi d'un saut évidemment périlleux dans le zodiak qui monte, descend, rebondit le long de la coque du Bélem. Et c'est parti . Nous nous éloignons rapidement . Comme la première fois, je ne sais pas ce que je préfère : faire le maximum de photos , pour plus tard ou , tout simplement, regarder , admirer, " en prendre plein les yeux ".

                           En_attendant_le_zodiak_tour_photos  A_vos_appareils_1   

  Un autre motif de réjouissance s'offre à nous : des dauphins qui viennent nager tout près du zodiak. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est la première fois que je vois des dauphins , dans la " vraie vie " . Alors de quoi vaut-il mieux profiter ? Sur notre tribord, la nage souple des dauphins . Sur notre babord, l'élégance du Bélem.Des_dauphins_comme_compagnons_de_route_1            L__l_gance_du_B_lem__2_

Moments trop courts ... Déjà, à regret, nous retournons nous caler contre l'échelle du pilote . Avec la houle, nous embarquons un peu d'eau. Comme je n'ai pas enfilé le bas de mon ciré, me voilà avec le pantalon trempé . Une seule méthode : se transformer en cormoran , les " aîles déployées " , en équilibre sur une patte, pour se faire sêcher . Il ne me manque que la huppe sur la tête . Par bonheur, l'instant n'a pas été immortalisé .

Fin d'après-midi : nous apercevons dans le lointain la côte des Scilly. Le Commandant souhaiterait y mouiller. Mais pour un navire comme le nôtre, l'approche ne peut se faire sans pilote. Et un pilote, ça coûte très cher. Alors , à quelques milles de la côte, nous virons de bord pour repartir plein sud. Il faut brasser les deux phares , Grand-Mât et Misaine . Effort intense, violent , mais aussi effort partagé entre tous. C'est parce que nous sommes ensemble , que nous " tirons " dans le même sens , au même rythme, que nous pouvons le faire . A méditer ...

Le vent tombe de plus en plus pour caler complètement. La mer devient d'huile . A nouveau, nous apercevons quelques dauphins qui s'approchent du navire pour s'éloigner tout aussitôt. Nous ne les intéressons pas. Ils ont mieux à faire .

C'est l'heure où le soleil se couche . Nous sommes réunis sur le gaillard d'avant. Frédéric, le jeune matelot détaché de la Marine Nationale, prend sa guitare et fredonne " Let it be ".

Fr_d_ric_joue__Let_it_be

" A l'heure  du soir naissant, se noie l'orange ronde

Qu'avale vite la courbe occidentale du Monde.

L'étau tranchant du ciel et de la terre l'étreint

Et la sanguine s'abîme sous l'horizon lointain ".

  Coucher_de_soleil_au_milieu_de_la_Manche_1  Coucher_de_soleil_au_milieu_de_la_Manche_10  Coucher_de_soleil_au_milieu_de_La_Manche__

Quel trésor me ferait renoncer à ces instants ? 

 

   

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  • Les vicissitudes de la vie me conduisent à tourner la page que je pensais si solide et à retourner vers celle qui fut si longtemps ma complice : la Mer. Toutes voiles dehors ! Je vous invite tout simplement à découvrir et à partager ma route.
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