Les Glénans : une semaine à Koz Kaztell . Au fil des jours
Dimanche 16 Août
Le temps est couvert. Il fait très doux . Mais pas un souffle de vent. La journée se déroule à tirer des bords dans le Trieux .
A hauteur de Lézardrieux, Henri nous montre la maison de Georges Brassens , belle bâtisse en granit qui regarde vers le fleuve.
Nous déjeunons sur un ponton dans le lit de la rivière . Difficile exercice que la prise de ponton ou de coffre ! Il ne faut pas arriver trop vite, sinon c'est la collision. A l'inverse, il ne faut pas être " vent debout " car il est indispensable de conserver un peu de vitesse pour rester manoeuvrant. Tout un art qui consiste à jouer avec le vent, le courant, les voiles, les différents obstacles. Mais la partition n'est jamais la même et chaque situation nécessite que l'on s'interroge sur l'ordre dans lequel il va falloir dérouler les manoeuvres. Est ce que je laisse ce bateau sur mon tribord ou sur mon babord ? Est-ce que j'affale le génois ou est-ce que j'affale la Grand Voile ? Et à quel moment précis ? Est-ce que vent et courant s'additionnent ou est-ce qu'ils sont contraires ? Est-ce qu'il faut que je présente le bateau bout-au-vent ou bout-au-courant ? Est-ce que j'ai la place de virer ? Est-ce que les haussières qui vont permettre d'amarrer le bateau sont là où il faut ? Et surtout , est-ce que mes équipiers sont prêts à participer à la manoeuvre ?
Pas de répit à bord ! On est là pour engranger le maximum de savoir-faire. Tant mieux : c'est bien ça que je suis venu chercher. Donc, pas de temps perdu . Si nous sommes sur un bord un peu long, notre moniteur nous enseigne une nouvelle manoeuvre que chaque équipier doit faire et refaire jusqu'à ce qu'elle soit correctement exécutée .
A ce rythme, le temps file aussi vite que le courant dans le Trieux . Vers 18 H, nous reprenons la ligne où sont amarrés nos bateaux en face de Koz Kaztell : je n'ai pas vu passer ces premières heures de navigation. Il faut encore dégréer, ranger tout le matériel et revenir à terre en pagayant ferme dans la prame. Puis rincer bottes et cirés avant de s'attaquer à la préparation du dîner .
Moment convivial lors duquel nous commençons à faire connaissance , tout en effectuant le service : " tu viens d'où ? Et tu fais quoi dans la vie ? T'avais déjà fait de la voile ? Tu étais déjà venu aux Glénans ? " Les langues se délient peu à peu. Beaucoup de parisiens parmi nous , de fraîche ou de longue date . Et puis des bretons, bien sûr. Et Serge , notre alpiniste , habitué des expéditions dans l'Himalaya ou dans la Cordilière des Andes . Et Fanély, native d'Avignon et qui vit à Paris.
Avec la fin du repas, notre période de " Bordée " se termine . Nous ne sommes pas mécontents de passer le relai à la Bordée suivante ! Et de goûter à un peu de temps libre que chacun vit à son rythme : tournoi de ping-pong, babyfoot, lecture, méditation solitaire. Nous prenons nos marques .
Lundi 17 Août
Plafonds bas, absence totale de vent et toujours cette incroyable douceur. Les températures oscillent autour de 20°C , alors que toute la France transpire sous la canicule. Du côté d'Avignon et de Nîmes, le thermomètre frôle les 40° C . Que je suis bien à Koz Kaztell !!!
Le programme de la journée sera fonction de l'évolution de la météo. Si le vent se lève un peu, comme cela est prévu, nous irons naviguer dans l'Archipel. Sinon, nous continuerons à tirer des bords dans le Trieux.
Fin de matinée : Eole a décidé d'être de la partie . Quelques petites risées et nous mettons cap au large. La descente vers l'estuaire est l'occasion de découvrir le balisage latéral . Nous sortons vers la mer : donc nous laissons la balise rouge , Olénoyère, à notre tribord et la balise verte ( dont j'ai oublié le nom ), à notre babord. Victor nous indique le moyen mnémotechnique utilisé par les marins pour mémoriser numérotation, orientation, forme et couleur des balises latérales : 1 tricot vert et 2 bas si rouges . Je connaissais déjà ce procédé.
Nous tirons des bords au large de Loguivy-de-la-Mer. Ces paysages ne me sont pas inconnus. Je les ai découverts lorsque je pratiquais le kayak de mer avec l'Auberge de Jeunesse de Paimpol.
Une côte découpée que surplombent des bois sombres, des roches qui affleurent partout et incitent à la plus grande prudence , des îlots dénudés trop battus par les vents pour que les arbres y poussent , et les marées qui dessinent sans cesse de nouveaux paysages : nous sommes au coeur de l'Archipel . Bien protégé au nord-ouest par le Sillon de Talbert et à l'est par l'Ile de Bréhat, ce plan d'eau est exceptionnel. Bien que moins agité que la pleine mer, il faut toutefois se méfier des courants qui peuvent nous drosser sur les rochers. Vigilance notamment vis à vis de celui qui parcourt le sud de l'Archipel et qui peut nous entraîner , bien malgré nous, vers la Pointe de l'Arcouest.
Mais le savoir-faire de Victor est rassurant. J'écoute ses explications, ses conseils , avec avidité . J'ai envie d'engranger le plus possible . Et de savourer chaque instant . Ces moments sont si précieux pour moi...
Mardi 18 Août
Nous progressons dans notre apprentissage des manoeuvres : mise à la cape, lancement du spi, mouillage sur l'ancre . Tout est l'occasion de parfaire nos connaissances en matière de navigation.
Nous sommes toujours confrontés à ce violent courant qui nous " scotche " à la hauteur du phare de La Croix.
Quelques secondes de trop consacrées à changer la voile avant et nous voilà qui dérivons dangereusement vers les "Oreilles de lapin " , des rochers fort peu sympathiques qui semblent nous attirer comme un aimant. Il nous faut tirer des bords pour nous sortir sans encombre de ce mauvais pas. Aussitôt écarté ce danger là, il faut à présent éviter de se laisser embarquer dans cette veine de courant qui nous entraînerait vers Paimpol. Alors les manoeuvres de virement de bord continuent à s'enchaîner : " Parez à virer ? Parez. Je vire ". Pas d'autre objectif pour l'instant que de gagner quelques mètres sur chaque bord afin de nous maintenir dans le chenal principal.
Une heure et demie se passe à batailler de la sorte. Mais rien à faire pour rejoindre les deux autres bateaux qui évoluent tranquillement plus au nord , dans une zone plus calme. Nous sommes à contre-courant , en marée de vives-eaux et la lutte est trop inégale : nous n'étalons pas . Amélie prend la décision qui s'impose . Un dernier virement de bord et nous faisons demi-tour en direction du Trieux .
Le retour à Koz Kaztell se produira donc plus tôt que prévu . Je suis partagée entre le regret de ne pas profiter de quelques heures de navigation supplémentaires et le désir d'un peu de repos . Surtout que nous sommes à nouveau de " Bordée " . Donc, après le " débriefing-apéro " ,
il faudra préparer le dîner, servir à table , faire la vaisselle et concocter le déjeuner du lendemain. S'en suivra le topo du soir pour recevoir les consignes relatives à notre prochaine navigation. Alors finalement, ce retour anticipé ne tombe pas si mal que cela.
Mercredi 19 Août
Pétole ! Pétole ! Pétole ! Une journée entière dans la pétole !!! Situation tout de même rare dans cette zone de nord-Bretagne . Et le soleil qui chauffe de plus en plus. La plage de Loguivy est noir de monde . On se croirait au bord de la Méditerranée .
Grâce au courant qui nous entraîne vers le large, nous réussissons à atteindre l'Ile Verte , petite île où sont également basés les Glénans et où se déroulent les stages destinés aux juniors et aux moniteurs. Alexandre, le chef de base vient à notre rencontre et nous guide afin que nous évitions rochers et bancs de sable. La passe est très étroite. Ici, bien abritée sous le vent de l'île , la mer est particulièrement calme et transparente. Plusieurs mètres d'eau , mais nous voyons le fond comme si nous pouvions le toucher. Des bancs de petits poissons, sans doute des éperlans, jouent autour du bateau.
Nous sommes presque à l'étale de basse-mer. Quelques pêcheurs à pied farfouillent dans les rochers découverts :crabes et crevettes vont devoir se méfier !
Comme chaque jour, nous aurions dû déjeuner sur le bateau. Mais très gentillement Alexandre nous prend à bord de sa prame et nous débarquons pour pique-niquer sur l'île. Rare privilège que j'apprécie à sa juste valeur : peu nombreux sont ceux qui ont la chance de venir ici.
Il n'y a pas d'arbre, à l'exception d'un grand pin qui a décidé de prospérer contre vents et marées. Il sert d'amer aux marins. Aujourd'hui, il va nous permettre de nous abriter du soleil.
Les plus téméraires parmi nous se baignent . Je n'en fais pas partie : bien trop peur d'attraper froid.
Du haut de l'île, notre vue embrasse tout l'Archipel. Je n'ai pas envie de parler : c'est si beau ici. J'espère seulement que ces images resteront longtemps gravées dans mes souvenirs. A côté de moi, se tient Marie-Hélène, notre maîtresse de maison. Son regard aussi se perd dans la Mer.
Mais nous n'avons pas le temps de trop lézarder car la marée va bientôt s'inverser et, à contre-courant, nous ne pourrions pas ressortir de notre abri. Nous rejoignons donc nos bateaux et mettons le cap vers le chenal principal.
C'est au tour d'Henri de se laisser embarquer vers les " Oreilles de lapin " . Au point de devoir mouiller pour éviter de drosser sur les rochers. Pas d'autre solution que de contacter Alexandre mis à contribution pour remorquer le bateau et le sortir de ce mauvais pas. Décidément, ce lapin nous en veut ! Mais tous les marins savent bien que cet animal est maudit !
Après cette manoeuvre de sauvetage, nos trois bateaux se regroupent et nous passons l'après-midi, bord à bord, avant le retour vers Koz Kaztell.
Beaucoup de cordialité au sein de notre groupe. Nous sommes pourtant d'âges et d'horizons différents. Mais sans doute partageons-nous les valeurs qui nous ont attirés ici, aux Glénans : vie en collectivité, bénévolat, partage . Et bien sûr , le sérieux dans l'apprentissage.
Chacun raconte un petit bout de vie, d'expérience. Les autres écoutent, interrogent.
Beaucoup de plaisanteries et de rires aussi. On se taquine les uns les autres. Le temps passe vite.
19 H 45 : c'est l'heure du bulletin météo émis par le Cross Corsen. En compagnie d'Henri, je tente de prendre en note l'ensemble des informations émises. Mais ça va beaucoup trop vite et je n'arrive pas à tout écrire. A la radio, la voix égrène déjà la dernière phrase : " ici le Cross Corsen. Je repasse Canal 16. Bonne mer à tous . Terminé " . Heureusement que les stagiaires ne comptaient pas sur moi pour connaître le temps de demain car j'ai dû réussir à noter une indication sur deux !!!
Alors, patiemment, Henri reprend tout avec moi depuis le début , en m'expliquant chaque phase. De son côté, Véronique, monitrice des 2 Voiles Open 5,70 m'apporte une carte de météo-sat, qui décrit la situation générale. Anticyclone, dorsale, dépression, Golfe de Gascogne, front chaud, front froid : j'ai envie de progresser dans ce domaine aussi . Il va falloir bosser !
Ce soir, notre Bordée va faire une virée à Paimpol. Nous y passons une soirée calme , à siroter une bière dans un bar. Je rentre avec la première voiture vers minuit, laissant les autres prolonger la soirée. Je veux dormir suffisamment pour profiter au mieux du lendemain.
Jeudi 20 Août
Le Cross Corsen l'avait annoncé : la météo a bien changé au cours de la nuit. Grâce à une insomnie, j'ai d'ailleurs assisté à ce changement de temps. J'ai passé un long moment dehors en pleine nuit et j'ai vu le ciel étoilé se voiler peu à peu. Moment fort, car ici, un peu loin de tout, on distingue la Voie Lactée . Et puis il y avait le hululement des chouettes, à l'affût dans le bois tout proche. Comme quoi, de temps à autre , une insomnie, ça a du bon !
Et ce matin, c'est la course là-haut. Vent sud-sud-ouest force 5 à 6 avec rafales.
Evidemment, nous sortons en mer . Ca va bouger, ça va mouiller . Il va falloir tirer sur les écoutes, se faire un peu mal aux mains. Nous sommes ravies . Raz-le-bol de la pétole !
Vent et courant se conjugant , nous atteignons très vite notre zone de navigation habituelle entre le Phare de La Croix, l'Ile Verte et la Rade de Toumelin.
Nous sommes partis sous grand-voile et foc et nous sommes surtoilés. Bonne occasion pour mettre en application la prise de ris . Le vent continuant à forcir, il faut aussi affaler le foc et hisser le tourmentin. Renaud, désigné pour opérer la manoeuvre à l'avant du bateau , se montre prudent. Ca bouge vraiment et Renaud doit procéder au changement de voile tout en veillant à ne pas passer par-dessus bord. Dans ces conditions , tout devient plus compliqué. D'où l'importance de faire et refaire ce type de manoeuvre par temps calme.
Une nouvelle fois nous mettons le cap sur la rade de Toumelin, afin d'être un peu abrité pour le pique-nique. Nous jetons l'ancre et notre bateau s'oriente immédiatement face au vent. Le déjeuner rapide est suivi d'un petit temps de repos. Le premier front est passé, le ciel s'est dégagé. Mais ça souffle toujours autant avec des rafales qui se renforcent. La Mer s'est couverte de petites crêtes blanches . Elle prend une teinte un peu grise. Cela correspond bien à du 5 / 6 Beaufort.
Les trois Open 5,70 nous rejoignent. Le mouillage du bateau de Véronique risque de s'emmêler au nôtre. S'en suivent toute une série de manoeuvres pour se sortir de cette situation qui pourrait devenir délicate.
Ressortir de la Rade de Toumelin au grand largue est un jeu d'enfant. D'ailleurs l'amusement ne fait que commencer. Nous tirons des bords serrés, au plus près, pour prendre le maximum de gîte. Plat bord puis winch d'écoute passent sous l'eau. Un vrai régal après toutes ces journées de calme plat. Chacun notre tour, nous occupons les différents postes : barre, grand-voile, tourmentin. Ca chahute vraiment. Il y a des rires. Nous sommes heureux.
Le temps passe trop vite. J'aimerais restée très longtemps à jouer ainsi avec la Mer et le vent. Mais déjà , beaucoup trop tôt à mon goût, le cap est mis sur Koz Kaztell.
Une fois à terre, nous procédons au rinçage intégral de nos cirés et bottes, couverts de sel.
C'est notre dernière soirée ici. La tradition veut qu'elle se prolonge tard dans la nuit. Nous la respectons en organisant un tournoi de ping-pong quelque peu délirant. Il est 2 heures du matin quand je me glisse dans mon duvet.
Belle journée !
Vendredi 21 Août
Seule la matinée est consacrée à la navigation. Nous restons dans le Trieux à multiplier les prises de coffre et de ponton. A tour de rôle, nous devons nous mettre à la barre, calculer notre approche, lofer ou abattre, s'aider ou contrecarrer vent et courant et , s'il le faut, recommencer jusqu'à ce que la manoeuvre soit réussie.
Puis c'est l'inventaire des équipements du bateau. Tout doit être pointé afin que l'équipage suivant n'ai pas de mauvaise surprise : voiles, bouts, équipements de sécurité, cartes de navigation... Il ne manque rien.
Après le déjeuner pris à terre, nous devons procéder au nettoyage complet du site. Encore une fois, tout est organisé au cordeau. La liste des tâches à exécuter est inscrite sur un tableau . Avec Sébastien, mon équipier du tournoi de ping-pong, nous héritons du nettoyage du foyer. Ranger, balayer, astiquer le frigo, passer la serpillère. Ca sent bon quand tout est terminé, devoir accompli.
Reste une dernière formalité : le bilan individuel de stage avec nos moniteurs. L'un après l'autre nous nous présentons devant Victor et Henri. Ils veulent tout d'abord connaître mon ressenti sur cette semaine à Koz Kaztell. Je leur exprime toute ma satisfaction pour la qualité de leur enseignement, les conditions d'hébergement, l'organisation. Les mots ne sont pas à la hauteur pour expliquer ce que j'ai vécu et ce que je ne peux pas leur dire : une semaine magnifique, une belle lumière, qui va, je l'espère, éclairer ma route solitaire.
Victor et Henri veulent savoir quels étaient mes objectifs en venant faire un stage avec Les Glénans : " Tu veux t'acheter un voilier ? Tu veux devenir monitrice ? " Leurs questions me surprennent.
Si je suis venue ici, c'était juste pour renouer avec la voile, apprendre ou réapprendre à naviguer, partager des bons moments avec les autres, tirer des bords. Je sais aussi que je souhaite continuer mon apprentissage avec Les Glénans.
Pourtant au terme de cette semaine, je sais désormais que je veux être en Mer, le plus souvent possible . Mais pas dans n'importe quel contexte . Les bateaux à moteur, les marinas en béton au bord de la Costa Brava : NON, MERCI !!! Ce que je veux, c'est être sur un voilier . Petit, moyen, grand . Qu'importe ! Pourvu qu'il y ai un peu de vent pour gonfler les voiles . Et découvrir des paysages qui m'enchantent, près d'ici, ou très loin. Et aussi naviguer au large, sans le repère d'une côte, avec la Mer comme seul horizon.
Suivent les conseils de Victor et d'Henri concernant ma progression à venir : " Tu devrais passer à un 2 Voiles embarqué, puis ensuite faire un 3 Voiles ".
Leurs paroles me suffisent . Elles signifient pour moi que je peux continuer . J'ai donc été " à la hauteur ".
Le soir même , je suis de retour au Croisic. J'ai quatre jours devant moi. Plus de temps qu'il ne faut pour faire une montagne de lessives ( ! ) et préparer à nouveau mon sac de marin. Car une autre " aventure " m'attend. Dans quatre jours, je serai à Roscoff pour embarquer sur Le Bélem !